La Nuit
La photographie peut-elle capturer l’empreinte de l’âme ? C’est la question qui s’était posé, à l’époque où les limites de ce support n’avaient pas toutes été explorées.
La photographie était alors encore un mystère, tant pour le monde artistique que pour le scientifique (Victor Hugo et bien d’autres comme August Strinberg en firent l’expérience).
Longtemps, les occidentaux se sont moqués des peuplades primitives qui voyaient ce danger en l’appareil de photographie de pouvoir capter l’âme –
alors que les premiers charlatans à avoir exploité ce filon dans les foires étaient des photographes avertis.
Évidemment, capturer une image de l’âme, c’est beaucoup dire. Mais pourtant, on aimerait pouvoir penser que la série présentée ici révèle une part de l’intime des personnages, qu’elle met à jour une vérité cachée de la nature humaine.
La photographie était alors encore un mystère, tant pour le monde artistique que pour le scientifique (Victor Hugo et bien d’autres comme August Strinberg en firent l’expérience).
Longtemps, les occidentaux se sont moqués des peuplades primitives qui voyaient ce danger en l’appareil de photographie de pouvoir capter l’âme –
alors que les premiers charlatans à avoir exploité ce filon dans les foires étaient des photographes avertis.
Évidemment, capturer une image de l’âme, c’est beaucoup dire. Mais pourtant, on aimerait pouvoir penser que la série présentée ici révèle une part de l’intime des personnages, qu’elle met à jour une vérité cachée de la nature humaine.
Cette série s’inscrit dans le travail que mène Christian Buffa sur les mutations
de l’humain. Que ces changements soient mentaux, avec l’absorption de l’humain
par la télé (1) ou comportementaux, avec cette série de clichés pris dans les
dancings, il s’agit ici d’utiliser l’image pour fixer un temps d’observation
via une prise de vue quasi scientifique, et un temps de réflexion sur la
manière de restituer le réel.
Loin du reportage, ces images répondent à un processus déterminé quant aux
conditions de prise de vue : un éclairage qui ferait penser aux images de Wegee
avec ses lampes au magnésium, des couleurs héritées des premiers jours de
l’open-flash, un angle de prise de vue frontal et direct… Cependant, aucune
recherche esthétique particulière n’est a priori mise en avant ; là où d’autres
auraient pu “mettre en scène”, magnifier d’avantage la scène ou encore faire
simplement poser des personnages sur un fond blanc, la relation du photographe
à son sujet relève ici d’une prise de risque, d’une immersion dans le réel et
dans la société. C’est d’ailleurs l’une des grandes problèmatiques de la
photographie aujourd’hui (2).
Bien que l’on ait tendance à souvent souhaiter le contraire, c’est la technique
qui va déterminer le champ sémantique, rendant tel ou tel détail parlant,
laissant tel code ou tel “punctum”* se révéler. Car si des détails nous font
deviner les lieux, rien n’est dit sur les personnes que nous voyons là, sur
leur histoire, leur présence ici, ni même leur nom ou prénom. Ainsi, ces images
ne cherchent pas à “raconter une histoire” ni à produire des documents, mais se
révèlent plutôt en tant que monuments (3). Elles sont objets, donnés à
contempler, sans aucun autre discours que celui de dire : « Regardez ce que
j’ai vu » et «Voyez l'objet que cela donne». C’est ensuite à chacun d’y trouver
les raisons qui font qu’un détail ou qu’un regard puisse susciter une émotion.
Pourquoi la texture de cette robe rouge écarlate retient-elle mon attention ?
N’ai-je pas déjà vu cette femme vêtue de cuir quelque part ailleurs que sur
cette image ? Chaque spectateur en passe par ce questionnement qui ne s’opère
jamais dans la vie quotidienne, ou en tout cas, jamais de cette manière. La
photographie n’est-elle pas le seul moyen de fixer ce que l’œil ne peut voir ?
Si la photographie ne dit rien de l’âme des personnages qu’elle fixe, ne
révèlerait-elle pas alors une partie de l’âme du photographe ? Le courant
actuel de la photographie contemporaine revendique la subjectivité du regard, à
l’opposé du courant humaniste dont elle est la descendante, qui elle, mettait en
avant la photographie comme outil objectif de captation du réel. Trop longtemps
on a pensé la photographie comme une preuve et encore aujourd’hui, cette idée
n’a pas complètement disparu de la conscience collective. C’est ici que se
situe l’un des enjeux de l’image photographique aujourd'hui : s’extirper des
contraintes qui fuent les siennes dès son invention, s’affranchir des
utilisations industrielles, commerciales, publicitaires, éliminer toutes les
connotations et idées reçues qui depuis trop longtemps maintenant nous
amèneraient à penser que les images sont plus choquantes que la réalité. Il
n’en est rien.
Richard Ignazi
Rédacteur en chef de la revue Pour Voir
(1) La série de Christian Buffa appelée “Mutants” est un travail de captation
d’images au travers de l’écran de télévision et montre métaphoriquement les
mutations de l’humain.
(2) Le photographe Luc Delahaye est l'auteur de "L'Autre" (éd.Phaidon), un livre
constitué d’images prises dans le métro, à l’insu des voyageurs photographié en
gros plan.
(3) "La Chambre Claire" Roland Barthes
(4) Gilles Deleuze, pour compléter les réflexions de Roland Barthes sur l’image
photographique, voyait deux types d’images : les documents et les monuments.