Aleria, une histoire photographique
Christian Buffa/Gérard Koch
20 août 1975. Gérard Koch a trente-trois ans, il est photographe au Provençal-Corse. C’est un reporter aguerri, qui compte déjà son lot de « coups ». En cette journée de canicule, il va signer ce qui demeure l’un des meilleurs, sinon le meilleur photoreportage de l’histoire contemporaine de la Corse. Un « coup », certes. Mais un coup de maître.
Koch couvrira les « événements » d’Aleria puis la nuit d’émeutes de Bastia moins d’une semaine plus tard. Témoin essentiel de ces journées brûlantes, il contribuera à documenter l’histoire immédiate de la Corse et de ce fait, à faire œuvre de mémoire. Au centre de son travail, la notion d’identité apparaît en filigrane de ces clichés monochromes, saisis à l’instant précis où la question corse jaillit dans le paysage politique national. Rien n’est jamais anodin.
Quarante ans plus tard, Christian Buffa est allé revisiter les lieux en compagnie de ce qui en furent les premiers acteurs : les militants de l’ARC emmenés par Edmond Simeoni.
Koch et Buffa se connaissent bien. Le premier a transmis à son cadet le flambeau du photojournalisme. Les deux, à leur manière, n’ont jamais cessé de traiter de cette fameuse – et délicate – question de l’identité au quotidien, dans le cadre de leur activité de reporters. Buffa, lui, a doublé cette approche d’un travail plus personnel où il donne à voir, de manière très directe et sans apprêt, les multiples facettes d’une identité insulaire protéiforme, en mouvement, dégagée des artifices convenus.
La force de la mise en abyme offerte par cette exposition tient précisément à cela : en se questionnant mutuellement à quarante années de distance, les images proposées ne se cantonnent pas à retracer un passé révolu. Elles se réinventent d’elles-mêmes et élargissent le champ de vision du spectateur et, probablement, de leurs sujets.
Ainsi les portraits réalisés par Buffa, ces regards qui fixent son objectif, ces hommes vieillis dont la détermination semble intacte, paraissent interroger les hommes qu’ils étaient au moment où Koch les photographiait dans la canicule d’août 1975. Eprouvent-ils des regrets ? De la fierté ? Le sentiment d’avoir été les acteurs d’un épisode à haute valeur ajoutée historique ? Qui étaient-ils à l’époque et que sont-ils devenus ?
La réponse ne leur appartient pas davantage qu’aux doctes analystes, aux biographes et aux historiens.
Elle réside dans la vérité de ces images.
Il suffit de les regarder.
Antoine Albertini,journaliste,écrivain